Vivendi et EMI : Ce rachat était-il seulement motivé par des économies d'échelle et le développement de synergies ?

Publié le par sylvainboivin

http://www.lilela.net/wp-content/uploads/iphone.jpgL'annonce du rachat d'EMI en novembre 2011, par Universal, filiale de Vivendi, a suscité la polémique dans le monde de la musique. Déconçée comme une dérive oligopolistique, cette acquisition a été justifiée par le groupe comme génératrice d'économies d'échelle. Mais, en était-ce la seule raison ?

 

Initialement baptisé Compagnie Générale des Eaux, le groupe Vivendi est une des plus grandes multinationales mondiales opérant dans la communication et le divertissement. Le nom de Vivendi a été adopté en 1998 pour signifier le tournant stratégique du groupe, du service aux collectivités territoriales vers les médias et télécommunications, initié par Jean-Marie Messier.


Le groupe s’est renforcé à la fin des années 90 et a connu un essor fulgurant sous la présidence de Jean-Marie Messier. Ancien associé de la banque Lazard, M. Messier arrive à la tête de la Compagnie Générale des Eaux en juin 1996. Charismatique PDG, il croit dur comme fer que l’avenir appartient aux nouvelles technologies et aux médias. C’est sur ce terrain qu’il veut faire figure de pionnier pour préempter ce marché naissant. Il aura raison mais sûrement quelques années trop tôt et ses investissements débridés dans le monde des médias mèneront le groupe au bord du gouffre financier. Après le départ de M. Messier suivra une période difficile, de 2002 à 2004, au cours de laquelle Jean-René Fourtou et Jean-Bernard Lévy redresseront Vivendi.


Aujourd’hui, les principales filiales du groupe sont SFR (détenu à 100%), le Groupe Canal + (détenu à 100%) ou encore Universal Music Group (détenu à 100%). C’est cette dernière qui a récemment fait parler d’elle. Depuis le rachat de son concurrent direct, EMI Group en novembre 2011, Universal est devenue une des trois grandes majors qui contrôlent le marché du disque. Le rachat d’EMI par Universal a entrainé de vives protestations, notamment de la part des labels indépendants qui ont vu dans cette opération une asphyxie de la concurrence et une dangereuse concentration du marché. En effet, depuis le rachat d’EMI, Vivendi est un des principaux fournisseurs de contenus mondiaux et contrôle l’ensemble de la chaine de valeur du marché du disque : de la production à la distribution.


La convergence numérique constitue un élément essentiel de la stratégie de Vivendi. En mariant contenus et contenants, les différentes activités du groupe appartiennent désormais toutes au secteur du numérique et des nouvelles technologies.


La complémentarité de ces activités permet, en premier lieu, de développer des synergies et des économies d’échelle permettant de satisfaire la croissance organique du groupe. De plus, la stratégie d’innovation de Vivendi s’appuie sur une proximité avec le consommateur final. Par cette intégration verticale, la major se rapproche de son client afin de comprendre et d’anticiper ses besoins.


Cependant, cette stratégie répond aussi à une évolution récente et majeure dans le monde de la musique et plus largement de la culture, celle de l’émergence de la dématérialisation et de la gratuité ou quasi-gratuité des produits musicaux. La musique a toujours, aujourd’hui, une valeur marchande. Néanmoins, depuis quelques années, avec le développement du piratage et d’acteurs du streaming, comme Spotify ou Deezer, elle apparaît gratuite par le consommateur final. Baser le modèle économique sur le canal classique de vente, sur des supports physiques et par l’intermédiaire de détaillants, en négligeant l’avènement du numérique, n’est plus pertinent pour les majors. Cette évolution du modèle de consommation implique alors que la valeur ne peut plus être captée à partir d’un acte d’achat du produit culturel en lui-même. Le contrôle du contenu et du contenant permettrait donc à Vivendi de monétiser ses produits via des plateformes de téléchargement légal. Ce n’est cependant pas là son unique objectif, car, en contrôlant l’ensemble de la chaîne de valeur, Vivendi se positionne de façon à transformer de son contenu un produit appel afin de modifier ses sources de revenus. En effet, la musique va naturellement se présenter non plus comme un contenu en lui-même, mais comme une publicité permettant d’attirer le consommateur vers les concerts, les spectacles vivants et les produits dérivés. Or, nous l’avons vu, ce sont précisément les mallions contrôlés par Vivendi actuellement, et notamment via Universal.


Finalement, la vente de la musique non plus comme un produit à part entière trouve comme corollaire le choix délibéré par les groupes tels que Vivendi, de contenus ayant le meilleur potentiel à toucher un large public et donc à fortiori un fort taux d’appel. A moyen terme, cela peut signifier pour l’industrie culturelle un nivellement des contenus au profit d’une logique purement financière et non plus artistique.

 

Sylvain Boivin

Article écrit avec la collaboration de Laure Vassal

Article publié sur la Baguette Culturelle ici

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